L’année nouvelle vient de commencer et le monde entier renouvelle ses vœux. Quels sont ceux des Africains ? Au détour de chaque rue et de chaque concession, on peut entendre des phrases du genre : « Bonne et heureuse année mon frère ! » ou « Sois bénis mon frère ! Que l’année nouvelle nous apporte bonheur et prospérité ! ». En Afrique la désignation « Mon frère, ma sœur, » revient très souvent dans les conversations. Elle est tellement présente qu’on penserait qu’elle caractérise un peuple qui s’aime et qui est ouvert à son semblable. Et pourtant certains faits contradictoires nous rendent perplexes dans cette Afrique-famille où tout le monde est le frère ou la sœur de tout le monde.
Sur le contient noir, deux inconnus qui se rencontrent pour la première fois peuvent automatiquement s’appeler « frères » ; l’Européen n’est pas du tout de cet avis ; à un inconnu qui l’aborde dans la rue par un « Mon frère », il demandera : « On se connait ? ». Oui, en effet pourquoi un inconnu appellerait-il un autre « mon frère » ou » ma sœur » alors qu’il ne le connait ni d’Adam ni d’Eve ?
En effet tous les peuples africains ont dans leur culture ce sentiment d’appartenance à une grande famille qui s’accepte quel que soit le nombre ; le concept de parenté en Afrique, non seulement, enjambe la frontière de la famille-noyau mais semble rester ouverte à tout nouveau membre sans limite ; c’est un principe basé sur le sens du partage très développé sur le continent et symbolisé par différents mots dans les langues parlées ; Si chez les Wolofs par exemple le concept « mbock » dérive du verbe « bock » qui signifie « partager », chez les Baluba du Congo, c’est le terme « bulela » qui implique le partage entre individus. Au bénin, les Mahi appelle tout le monde « Nonvi » qui signifie « petit frère », comme chez les Ewe du Togo et du Ghana.
Ensuite, ces peuples ayant en commun le français ou l’anglais ont adopté l’appelation « Mon frère » ou « Brother » et ne se limitent plus à leur communauté mais à toute l’Afrique. Alors comment des peuples si unis dans les sentiments d’appartenance ont-ils du mal à fonder des institutions continentales, panafricaines, solides pour peser lourd dans cette chère mondialisation ? A cet instant précis où nous écrivons cette dernière phrase, le nom de Marcus Garvey s’inscrit en lettre d’or sur le front du Kamit.
Un des rares panafricanistes à avoir très tôt tenté la vraie union africaine, Marcus Garvey fut trahi par…des « frères » qui ne voyaient pas en lui le leader incontesté. L’histoire de l’Afrique est pleine de ces moments où un Africain qui voulait bien faire s’est vu trahir par « des frères », membre d’un continent qui aime s’appeler par ce label. Se pose alors aujourd’hui la question de savoir à quoi nous sert cette appelation servie à la pelle au détour de chaque rue, à la moindre rencontre et au moindre rassemblement entre Noirs ?
La vérité réside dans une hypocrisie silencieuse qui enlise les relations africaines tel un cancer difficile à déloger. Les Africains s’appellent « frère » mais devant l’étranger, ils sont prêts à se trahir, souvent par jalousie, parfois par opportunisme et généralement par haine tout simplement. Quand les Africains sont entre eux, ils font semblant d’aimer le leader ; mais quand l’occasion se présente, ils s’allient avec l’étranger pour tuer le leader et prendre sa place. Nous avons retrouvé ce scénario depuis l’époque de Béhanzin ; Faut-il encore parler de Thomas Sankara et de son frère Blaise ? Que dire donc de Lumumba et de son frère Mobutu ?
Ailleurs d’autres peuples ne s’égosillent pas à s’appeler « frères », mais dans les actes, ils démontrent qu’ils le sont. Les descendants de Kamit doivent apprendre cette leçon.
Aussi, à l’orée de cette nouvelle année, je vous demande solennellement de ne plus m’appeler frère. Démontrez-moi, par vos actes, que j’en suis un !