L’Allemagne prévoit restituer au Nigeria à partir de l’an prochain des sculptures qualifiées de “bronzes du Bénin” issues de pillages remontant à l’époque coloniale. Annonce faite jeudi dernier par la secrétaire d’État à la Culture Monika Grütters ; cette décision a été prise lors d’une réunion entre experts de musées et responsables politiques nationaux et régionaux organisée à l’initiative de Monika Grütters.
“Nous souhaitons contribuer à la compréhension et à la réconciliation avec les descendants de ceux dont les trésors culturels ont été dérobés pendant la colonisation”, a indiqué Monika Grütters dans un communiqué au terme d’une conférence numérique. Cette conférence a réuni l’ensemble des institutions culturelles concernées par la question du retour des objets pillés pendant l’époque coloniale le jeudi dernier. Celle-ci se concluant sur la décision inédite de mise en œuvre, dès 2022, «de restitutions substantielles ».
“Nous prévoyons les premières restitutions au cours de l’année 2022”, a-t-elle ajouté.
Depuis des années, les Béninois réclament la restitution de ces œuvres, qui appartiennent à ce que l’Afrique a pu produire de plus spectaculaire dans le genre réaliste. Le retour global aux sources de l’ensemble de ces œuvres est demandé dans le but d’aboutir à un musée qui se verrait construit à Benin City, dans le sud-ouest de l’immense Nigeria à partir d’un financement initial de 3,4 millions d’euros, auquel participe le British Museum. Un projet jusqu’ici vide non pas de sens, mais de matière première. Contrairement au Parthénon grec, il n’est rien resté sur place.
La restitution aux Nigérians comme aux familles juives spoliées intervient dans un contexte de réparation générale. Il y a la faute nazie, puis la « honte de ne pas avoir eu honte assez tôt » a expliqué le chef de la diplomatie, Heiko M’as.
« Nous faisons face à notre responsabilité historique et morale d’éclairer et d’assumer le passé colonial de l’Allemagne », a déclaré Monika Grütters. S’engageant à préciser le calendrier concret des échanges à venir d’ici fin juin, elle a également souligné le jalon important que représente le cas particulier de la restitution de ces bronzes vis-à-vis de l’ensemble des collections coloniales du pays. « Le cas des bronzes du Bénin est une pierre de touche du traitement par l’Allemagne des collections issues de contextes coloniaux, qui fait également l’objet d’une attention internationale », a-t-elle précisé.
Sur un registre plus symbolique, Monika Grütters a exprimé le souhait que le geste fort du gouvernement allemand contribuera à une meilleure relation avec les anciens groupes et pays colonisés, avec lesquels les musées allemands ont commencé une collaboration scientifique étroite.
La démarche allemande a été saluée par l’artiste contemporain nigérian Victor Ehikhamenor, qui participe au Legacy Restoration Trust, l’organisme indépendant censé recevoir les objets historiques restitués au Nigeria.
« Il s’agit d’un grand pas vers la réparation des torts, surtout venant d’un pays qui a été une superpuissance de la colonisation », a-t-il approuvé dans un entretien au Guardian.
« L’Allemagne a ouvert la voie aux autres pays occidentaux qui s’efforcent de trouver la bonne façon de traiter les cas de restitution » a-t-il ajouté.
Cette décision constitue « un tournant dans notre rapport à notre histoire coloniale », a estimé le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas dans un communiqué.
Plus prudent, l’historien allemand Jürgen Zimmerer, spécialiste de la colonisation, a fait savoir qu’il attendait de découvrir les contours précis de ces restitutions avant de crier victoire.
« Au lieu de s’engager sans condition à rendre toutes les œuvres d’art pillées, il n’a été question que de restituer une vague part “substantielle. Comment cette partie est déterminée, et par qui, cela n’a pas été précisé » a-t-il rappelé au quotidien britannique. Un des points qui doit faire l’objet de discussions concerne en effet la question de “la manière dont les bronzes du Bénin peuvent continuer à être exposés en Allemagne”, selon le communiqué.
Près de 1100 bronzes du Bénin sont aujourd’hui conservés au sein de différentes institutions allemandes, dont 440 pièces dans le seul musée d’Ethnologie de Berlin. Une partie qui reste donc à définir de ces objets devrait à terme rejoindre l’Edo Museum of West African Art (« musée d’Edo de l’Art Ouest-africain »), à Benin City.
Dessiné par l’architecte David Adjaye, ce futur grand musée historique et archéologique nigérian devrait ouvrir ses portes en 2025. « De nombreux musées nous ont contactés ; Ils sont nombreux à vouloir discuter avec nous de restitutions, et à sentir qu’il y a une urgence sur ce sujet », a confié dans un entretien The Art Newspaper Phillip Ihenacho, le directeur du Legacy Restoration Trust, également en charge du futur musée.
En effet, un peu plus d’un mois après la visite d’une délégation allemande au Nigeria où se situent les terres de l’ancien royaume du Bénin, la décision de restituer les bronzes survient en plein débat, en Allemagne, sur les modalités de constitution des importantes collections africaines conservées dans plusieurs institutions du pays. L’inauguration du Humboldt Forum, qui expose en plein centre de Berlin les collections du musée d’Art asiatique et du musée d’Ethnologie de la capitale fédérale, a ainsi soulevé de nombreuses discussions au cours des derniers mois sur l’origine coloniale des très nombreux objets censés y être exposés.
Pillées en 1897 lors d’une expédition punitive britannique au cœur du royaume du Bénin, des milliers de plaques et de statues en bronze ont été disséminées depuis plus d’un siècle au sein des collections mondiales. La plus grande partie de ces objets reste cependant conservée au Royaume-Uni, au sein de 45 institutions dont le British Museum, qui détient à lui seul plus de 900 bronzes du Bénin. Le plus grand musée d’outre-Manche se refuse de longue date à discuter de restitution, et se borne à rappeler que le contexte historique “la dévastation et les pillages infligés à Benin City par l’expédition militaire britannique” est bien mentionné dans ses différents dispositifs de médiation.
Malgré l’inflexibilité du musée, la prise de conscience de l’histoire d’une partie des collections coloniales fait son chemin dans le pays. Une vente aux enchères de bronzes du Bénin a ainsi été annulée dans le Sussex, tandis que l’université d’Aberdeen, en Écosse, a annoncé fin mars son intention de restituer au Nigeria une tête en bronze « acquise d’une manière que nous considérons aujourd’hui comme extrêmement immorale », selon les mots du directeur des collections.
Quant à la France, une restitution symbolique d’une vingtaine d’objets au Sénégal et au Bénin a été lancée officiellement. Remis au président de la République en 2018, le rapport des historiens Bénédicte Savoy et Felwine Sarr avait recensé que près de 46.000 des 70.000 objets conservés au musée du Quai Branly auraient été acquis pendant l’époque coloniale, entre 1885-1960.
C’est un premier pas historique. Plus de 120 ans après la mise à sac du palais royal d’Edo (aujourd’hui Benin City, au Nigeria), un pays européen s’engage à restituer une partie des bronzes du Bénin pillés en 1897.
Rappelons que les bronzes du Bénin figurent parmi les artefacts les plus réputés de l’art africain. Ces plaques, avec leurs bustes et sculptures en laiton fabriquées entre le XVIe et le XVIIIe siècle, décoraient le palais royal du Royaume du Bénin, dans ce qui est aujourd’hui le sud-ouest du Nigeria. Elles avaient été réparties dans plusieurs musées européens après le pillage du pays par les Britanniques à la fin du XIXe siècle.
Le musée ethnographique du Forum Humboldt de Berlin, qui devrait accueillir cette année ses premiers visiteurs après une rénovation complète, possède environ 530 objets historiques dont plus de 400 bronzes issus de l’ancien Royaume du Bénin. Cette collection est présentée comme la plus importante du genre après celle du British Museum de Londres.
La réouverture du Forum Humboldt, sur la célèbre île aux Musées, s’est accompagnée d’une vive controverse sur l’opportunité d’exposer de telles œuvres. L’ambassadeur du Nigeria en Allemagne, Yusuf Tuggar, avait à cette occasion demandé leur restitution. “Une approche sincère de l’histoire coloniale inclut également la question de la restitution des biens culturels”, avait déclaré fin mars Heiko Maas.
En Europe, la plupart des anciennes puissances coloniales ont lancé ces dernières années des réflexions sur la réappropriation de leur patrimoine par les anciens pays colonisés, surtout africains. Le British Museum s’est prononcé pour un retour de certaines œuvres au Nigeria, mais sous la forme de prêt.
Soulignons qu’à la fin de l’an dernier, la France a approuvé la restitution de 26 pièces pillées en 1892 dans l’ancien Royaume du Bénin.