“Doyen”. Le mot est à la mode. Ce que “Doyen” signifie dans le langage courant au Bénin recouvre-t-il exactement ce qu’il désigne dans le parler français de France ?

 

Le dictionnaire nous propose les définitions ci-après :

  • Titre de dignité ecclésiastique.
  • Personne qui possède la première dignité dans les facultés d’une université.
  • Personne qui est le plus ancien des membres d’un corps, par ordre de réception.
  • Personne la plus âgée, dans le sens de doyen d’âge d’une assemblée par exemple.

Au Bénin, est honoré d’un sonore “Doyen” tout individu qui, à partir de quelques indices physiques, rides par-ci, cheveux grisonnants par-là, est estimé être d’un âge certain. Il est assimilé à la confrérie des personnes du troisième âge. Ce qui établit une relation de causalité entre le mot “Doyen” et l’âge de la personne concernée.

Dans nos cultures, c’est l’expression du respect dû à l’aîné. En pays fon, interdiction formelle aux plus jeunes d’appeler leurs aînés par leur nom. On dit “Fofo” pour le grand frère, “Dada” pour la grande sœur. Les Yoruba sont attachés à la notion de “Adayé bâ”. Au regard de quoi, qui a respiré l’air du monde une seconde avant un autre bénéficie de l’antériorité, de la priorité de naissance. C’est le droit d’aînesse. Comme si le fait de nature s’imposait d’autorité au fait de culture.

Mais le “Doyen” connu et reconnu tel se doit de tenir son rang. Il doit mériter le respect qui lui est dû. Les Fon diront, à cet égard, “Yé non si mê ho”. L’aîné qui déchoit de l’éminente position qui lui est concédée vide son titre de tout contenu. Les Yoruba vouent à celui-ci un mépris souverain “Agbalagba tin ché lagba lagba”. On lui préfèrera, chez les Fon, son cadet au motif que “Vié sé ho, wê gni mê ho”. Car, pour la tradition, l’aîné, le vrai, c’est l’enfant qui est à l’écoute des anciens, qui bénéficie de leur confiance. Du reste, dans le Royaume du Danhomê, le prince présomptif, celui-là qui, du vivant du roi, a vocation à lui succéder, est appelé, quelque soit son âge, “Vi daho”, l’aîné.

Ainsi, dans la vision de nos traditions, on mérite d’être reconnu “Doyen”, on mérite d’autant de rester “Doyen”. Le “Doyen” voleur, le “Doyen” soulard fait la honte de sa communauté. Le “Doyen” voyou marche à côté de sa mission sociale. Il n’est pas un exemple pour les plus jeunes.

La plupart des sociétés africaines étaient structurées en classes d’âges. Les personnes qui sont devant ont la charge d’ouvrir aux plus jeunes les sillons de l’avenir. C’est de cette manière que la chaîne des générations traverse harmonieusement le temps, grâce à une transmission correcte de témoin. Ce qui fait de l’aîné, du “Doyen”, de tout “doyen”, un éducateur. Mais, force est de constater que nos sociétés sont investies depuis peu par des valeurs exogènes, des valeurs venues d’ailleurs. Celles-ci malmènent l’ordre ancien. Celles-ci mettent tout sens dessus dessous. Celles-ci induisent des comportements nouveaux à faire frémir les mânes de nos ancêtres. L’école formelle des temps nouveaux a effacé les sentiers qui conduisent au bois sacré. Plutôt le cursus scolaire et universitaire qui consacre agrégé ou docteur que l’initiation traditionnelle qui vous abandonne analphabète sur le bas côté de la route de la vie.

Comme on le voit, les vrais “Doyens” ne sont plus qui l’on croit. La démocratie pluraliste, égalitaire et égalitariste, labellisé “un homme, une voix”, a tout nivelé, mettant tout le monde sur un pied d’égalité. “Doyens” attitrés et “Doyens” parvenus sont égaux en droits et en devoirs. Le droit d’aînesse, bousculé en son principe de base, se confine dans les cercles étroits des familles ou des collectivités. Il est interdit d’espace public et d’expression publique.

Enfin, l’argent-roi a chamboulé toutes les hiérarchies. Il consacre, chaque jour, selon de nouveaux critères, de nouveaux “Doyens”. Par delà l’âge, c’est l’épaisseur, le poids du porte-monnaie qui compte et qui tranche. Ne parlons pas de jeunes plaisantins qui, sans respect pour des aînés, lancent dans la rue à celui-ci aurait pu être leur père ou grand-père : “Papa yi Gbo djê !” Casse-toi, papa, dégage. Va te reposer”. Quelle impolitesse. Pardonne-leur, Seigneur, car ils ne savent pas ce qu’ils font!

Jérôme Carlos

La chronique du 12 octobre 2016

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