Enfant, Tita Nzebi a eu une vie aussi tranquille que celle de la plupart des enfants de sa génération. Rien ne présageait un quelconque engagement. Témoin d’une dictature soutenue de l’extérieure, l’artiste aujourd’hui s’est engagée à chanter contre un système qui ne profite qu’à une poignet de personnes. Tita Nzebi est auteure de deux albums, “Métiani” et “From Kolkata”.

Dans cet entretien, nous reviendrons sur le parcours exceptionnel d’une chanteuse hors pair qui allie modernité, sensualité et engagement social.

Présentez-vous à nos chers lecteurs s’il vous plait !

Je m’appelle officiellement Huguette Leckat, Je suis née à M’bigou au sud du Gabon et je réside en France depuis 20 ans.

Pourquoi Tita Nzebi et quel est votre genre musical ?

Tita est un surnom que m’a donné ma famille dès ma naissance certainement car on m’a toujours appelée ainsi dans le cercle familial. J’ai adjoint Nzebi (ma langue maternelle) à ce surnom pour pouvoir ouvrir une page sur myspace. Le pseudonyme Tita y était déjà utilisé par quelqu’un d’autre. C’était en 2006. Depuis lors Tita Nzebi est devenu mon nom d’artiste.

Ma musique vient de ma culture nzebi. Je compose sur la base des rythmes nzebi et chante principalement en langue nzebi mais je me fais accompagner de musiciens qui ont une culture et une formation musicale différente de la mienne. Au Gabon on appelle cela de la musique tradi-moderne pour souligner ce mélange entre tradition et modernité.

Dans vos compositions, l’on peut percevoir sans trop d’effort un engagement contre l’injustice. Pouvez-vous nous expliquer l’origine de cette orientation ?

Cette orientation me vient de mon éducation. J’ai été éduquée par des parents et des grands-parents qui m’ont inculqué le respect de moi-même et des autres. On ne m’a jamais dit que j’étais une personne au-dessus des autres mais une personne parmi toutes les autres. La question de l’origine des gens ne s’est jamais posée chez nous, les Hommes sont les Hommes peu importe leurs origines, leurs religions etc.

Je suis une fille Nzebi, éduquée par les Nzebi et chez nous il y a énormément de proverbes qui insistent sur le respect nécessaire des Hommes pour les Hommes et mon préféré c’est celui-ci : “Mutu bu mutu mu Mutu na ndè” ce qui veut dire : l’Homme est Homme grâce à l’Homme. Traduction plus précise : “l’Homme a une humanité à cause d’un Homme comme lui”. Ce proverbe Nzebi parle de l’Homme en général et ne fait apparaître aucune hiérarchie entre les Hommes. Mon humanité est liée à celle de mon semblable humain. Quel qu’il soit. De ce fait, chaque fois qu’une humanité est blessée, humiliée, anéantie quelque part, je suis moi aussi, blessée, humiliée et anéantie.

Ceux qui ont acheté mon premier album Métiani ont certainement vu ce proverbe affiché en grand le long du digipack. Je me sens intimement concernée par les injustices que subissent d’autres humains même si je ne les subis pas personnellement. Même si aucun membre de ma famille ne les subit. Cela me vient de mon éducation, des valeurs qui m’ont été transmises par ceux qui m’ont éduquée.

A travers vos chansons, on sent une parfaite combinaison de sensualité et d’engagement. Comment arrivez-vous à trouver l’équilibre ?

Rien de ce qui est ressenti à travers mes chansons n’a été recherché et donc trouvé. Je chante ce que je suis, je chante ce qui me tient réellement à cœur. Si donc, dans mes chansons « on sent une parfaite combinaison de sensualité et d’engagement », il est fort possible que cette combinaison soit naturellement en moi. Rien de ce que je fais n’est calculé pour avoir tel ou tel autre effet sur un public pré défini. Je compose mes chansons de façons franche et sincère. Je ne cherche nullement à orienter le ressenti de ceux qui me font l’honneur d’écouter mes chansons dans telle ou telle autre direction.

De Métiani à From Kolkata, racontez-nous brièvement votre parcours artistique !

Brièvement, mon parcours artistique solo a commencé dans les cafés et bars parisiens en 2006. Avant de venir en France pour raison d’études j’avais sorti un album au Gabon avec un groupe. Pour moi mon aventure musicale s’arrêtait là. Je ne venais pas en France avec, dans un coin de ma tête, l’idée de continuer la musique mais la vie en a décidé autrement. La musique s’est imposée dans ma vie. J’ai commencé à composer des chansons, à enregistrer des maquettes puis je me suis retrouvée à me produire dans des cafés à Paris. Manu Dibango fut le premier à diffuser ma musique sur une radio, Africa N°1, alors qu’il ne me connaissait pas, il avait juste été séduit par ma maquette qu’une amie, Francine Rashiwa, lui avait tendue à l’UNESCO à Paris. Quelques jours après il diffusait un titre de cette maquette dans son émission du dimanche sur Africa N°1 et à dire tout le bien qu’il pensait de ma musique alors qu’il ne me connaissait pas et ne m’avait jamais rencontrée. Je suis sûre qu’il ne se souvient plus de cette histoire et ne doit certainement pas savoir qui je suis précisément.

Puis j’ai enregistré un premier maxi single sous la direction du grand guitariste Congolais Sec Bidens en 2008. Ma médiatisation a réellement commencé avec ce maxi single. En 2010 j’enregistrais mon premier album Métiani et créais mon label Bibaka pour pouvoir sortir cet album.

Ce label m’a permis d’avoir accès aux salles de concert car sans structure administrative il est quasiment impossible de se produire dans certaines salles en France. Je me suis donc produite dans des salles en France, à Paris principalement. J’ai participé à des festivals en France et dans d’autres pays européens, fait deux tournées en Inde.  Mon deuxième album, From Kolkata est sorti le 6 avril 2019. Mon label me donne accès à une certaine liberté artistique vu que je ne dépends de personne et à un certain nombre d’opportunités.

Revenons à votre dernier album From Kolkata sorti en avril dernier. Vous avez finalisé cet album en Inde. Une relation particulière avec ce pays ?

Par la force des choses oui ; j’ai désormais une relation particulière avec ce pays car j’y ai fait deux tournées et donné à mon deuxième album un intitulé qui le lie de toutes les façons à ce pays. Tout cela n’a absolument pas été calculé. Mon aventure avec l’Inde a commencé avec ma première participation au Womex. Dans les couloirs de ce salon je croisai Debalina, une chanteuse Indienne. Elle tenait le stand de la structure Banglanatak. Elle m’expliqua que leur structure organisait des échanges culturels entre les artistes du Bengale, un Etat de la fédération indienne, et ceux du monde. Je lui donnai mon album Métiani et quelques mois après cette rencontre à Saint Jacques de Compostelle, je me rendais à Calcutta invitée par Banglanatak pour une dizaine de jours. J’ai ainsi fait des concerts en Inde et enregistré quelques titres avec des artistes locaux. Pendant ce premier séjour en Inde j’ai aussi terminé l’écriture de certains titres et composé d’autres. Quand je suis rentrée à Paris j’étais enfin prête pour l’enregistrement de ce deuxième et je l’ai naturellement appelé From Kolkata car cet album vient clairement de Kolkata (anciennement Calcutta).

Tita Nzebi

Votre engagement pour la célébration de la femme n’est plus un secret. Le titre Ba Ngu en est la preuve. Dans quelle langue le chantez-vous et quel en est le message ?

Ba Ngu est chanté en langue Nzebi. Ba Ngu veut dire les mères. J’ai voulu, à travers cette chanson, parler de ce que j’appelle la maternité plurielle telle qu’elle se vit en Afrique. Nous ne sommes pas uniquement les enfants de nos géniteurs. Nous sommes aussi les enfants des frères, des sœurs de nos pères et mères. Personnellement j’appelle plusieurs femmes mamans pas pour leur faire plaisir mais parce qu’elles sont réellement mes mamans.

Chez les Nzebi cette notion de maternité plurielle et son pendant, la paternité plurielle, se compliquent un peu car chez nous les notions de maternité et de paternité sont mixtes. Chez nous, en principe, les femmes sont mères mais les hommes aussi le sont. Les hommes sont pères mais les femmes aussi le sont. Tante se dit dans notre langue Tô mukasse ce qui est une contraction de tate ya mukasse ce qui veut dire papa au féminin. Et pour oncle nous avons cette expression de Ngu bagh’le qui veut dire mère au masculin.

Ainsi donc, les sœurs de ma mère sont mes mères et ses frères sont mes mères au masculin. Les frères de mon père sont mes pères et ses sœurs sont mes pères au masculin. Je suis la mère des enfants de toutes mes sœurs et le père des enfants de tous mes frères.

Cela paraîtra peut-être incompréhensible à certains mais si vous relisez ce que je viens d’écrire calmement vous comprendrez facilement. D’autres auront peut-être du mal à le concevoir pourtant j’ai été éduquée ainsi et nous sommes nombreux à avoir reçu cette éducation.

Cette chanson est un témoignage de certaines de nos valeurs, un hommage à toutes mes mères (hommes comme femmes), un rappel pour ceux qui ont oublié et peut-être un apprentissage pour ceux qui le souhaitent.  

Est-elle la langue principale de vos compositions ?

Oui, le Nzebi est la principale langue de mes compositions.

Vous êtes de ces rares artistes qui aiment interagir avec leur public. Comment y arrivez-vous ?

J’y arrive de moins en moins car il y a de plus en plus de personnes qui me suivent sur les réseaux et qui souhaitent parfois échanger avec moi. Mais ce n’est pas évident de répondre à tout le monde quand on a d’autres activités par ailleurs et je m’en excuse. Mais chaque fois que je peux le faire je le fais avec plaisir. J’y arrive parce que j’estime que c’est poli de répondre à une personne qui s’adresse à vous. J’estime aussi qu’on ne doit pas ignorer une personne qui prend de son temps pour vous l’accorder et enfin, il y a des gens qui sont des interlocuteurs intéressants. Chaque fois que je peux profiter de ce qu’ils m’apportent au cours d’un échange je n’hésite pas.

Le 10 juillet prochain vous avez un autre rendez-vous avec le public au Café Culturel l’EP7 à Paris. A quoi peut-on s’attendre et quel est l’objectif de cette rencontre ?

L’objectif de cette rencontre est justement de prendre le temps d’échanger avec le public face à face. Cette rencontre a vraiment été conçue pour le public. J’ai constaté dans les concerts qu’il y a beaucoup de gens qui attendent longtemps pour faire signer un album, prendre une photo ou simplement échanger quelques mots avec moi. Sur les réseaux je ne réponds pas toujours à toutes les questions qui me sont posées. J’invite donc tous ceux qui le souhaitent à cette rencontre à l’EP7 à Paris. L’entrée sera libre, je chanterai peu. Ce ne sera pas un concert mais un réel moment d’échange avec le public. Si vous habitez la région parisienne et souhaitez me rencontrer, je vous attends le 10 juillet prochain à l’EP7 à 5 minutes du métro Bibliothèque François Mitterrand sur la ligne 14.

Cette rencontre verra la participation de personnes qui ont joué et jouent d’importants rôles dans votre carrière dont Sec Bidens. Une relation particulière avec ce monument de la musique congolaise ?

Oh oui ! D’abord ce nom fait partie de ma vie comme celle de quasiment tous les Gabonais de ma génération. Sec Bidens a été un musicien très connu au Gabon et en plus on chantait son nom dans une chanson qui passait quasiment tous les jours à la Radio Télévision Gabonaise. Il nous était donc impossible de lui échapper car on entendait son nom à la radio et par mimétisme on le chantait à notre tour.

Avant de le rencontrer pour la première fois à Paris, je le connaissais déjà. Puis il a été le premier musicien de son niveau et de sa notoriété à accepter de m’accompagner sur mon premier enregistrement solo. Il a cru en moi dès le début et depuis il suit mon évolution avec beaucoup d’intérêt. Il peut nous arriver de nous perdre de vue pendant un long moment mais Sec Bidens n’est jamais loin de moi. Il a participé à tous mes projets d’enregistrement et le 19 octobre je serai sur scène avec lui pour un récital guitare/voix à l’espace Sorano à Vincennes. Nous ne serons que tous les deux sur scène. C’est un honneur pour moi de pouvoir collaborer avec un tel musicien sur une si longue période.

Tita Nzebi sur scène avec Sec Bidens
Crédit photo : Erick Lah

L’artiste d’origine béninoise Serge Ananou fait également partie du cercle de vos premiers collaborateurs. Sera-t-il au Café Culturel EP7 ?

Non, Serge ne sera pas l’EP7 à moins qu’il ne soit de passage à Paris ce jour-là et décide de passer nous voir. Par contre vous y verrez Milena Perdriel la photographe qui a fait les deux portraits qui sont au recto et au verso de l’album From Kolkata. Milena a fait d’autres portraits de moi dont deux ont été primés dans un concours international de portrait. Vous y verrez Sec Bidens qui m’accompagnera à la guitare sur quelques titres. Il y aura aussi le chanteur, organiste, auteur, éditeur, blogueur, universitaire Bertrand Ferrier qui sera le modérateur de cette rencontre ainsi que le chanteur Jann Halexander.

A un jeune Africain qui vous lit actuellement, quel conseil pourriez-vous lui donner qui pourrait l’aider à porter un autre regard sur l’Afrique ?

Je lui raconterai ce que je suis devenue grâce à l’Afrique. Je lui parlerai d’abord de cette éducation africaine que j’ai reçue grâce à laquelle j’ai réussi à me construire une vie en France, loin de chez moi. Je lui dirai cette dernière parole de mon père alors que je m’apprêtais à prendre cet avion pour la France : « maman je n’ai pas grand-chose à te donner mais où tu vas, tâche de respecter les gens et tout ira bien. Chaque homme de ma génération que tu croiseras, traite-le comme s’il s’agissait de moi. Chaque femme de la génération de ta mère que tu croiseras, traite-la comme s’il s’agissait de ta mère. » J’ai suivi le conseil de mon père et tout va bien.

Mes parents m’ont appris à respecter les autres mais aussi à me respecter. De ce fait, je n’accepte pas que l’on me traite n’importe comment, je ne me renie pas, je ne me soumets pas et ça je le tiens de cette éducation reçue en Afrique. Je lui dirai que j’ai chanté la langue de ma grand-mère devant des centaines voir des milliers de gens qui ne la comprennent pas et ce, dans de nombreux pays sur au moins deux continents et j’ai partout été accueillie avec enthousiasme. Je lui dirai enfin, me basant sur ma propre expérience, que nous avons en Afrique des savoir faire et savoir être qui peuvent nous être grandement utile ainsi qu’aux autres. Soyons fiers de ce nous sommes, qui que nous soyons et allons à la rencontre des autres en étant nous et pas en essayant d’être de pâles imitations des autres.  

Tita Nzebi en trois mots ?

Conviction – Respect – Persévérance.

Des projets à venir ?

Oui.  Le 6 septembre je ferai l’ouverture du festival Sam’Africa dans le Gers en France. Le 5 octobre Jann Halexander et moi serons sur la scène du Théâtre Monsabré à Blois pour le spectacle Gabao sur Loire. Le 19 octobre à l’espace Sorano à Vincennes avec Sec Bidens pour le spectacle Au gré des cordes. Et fin octobre je serai en Finlande pour le Womex. Tous ceux qui y seront pourront me rencontrer au stand de mon label Bibaka.

Un dernier mot ?

Je vous remercie, Myafricainfos, de m’avoir donné l’opportunité de rencontrer vos lecteurs. Longue vie à vous !

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