Il était l’un des acteurs culturels incontournables au Togo. Arrêté à tort ou à raison pour trafic de drogue puis inculpé, Eugène ATIGAN a vécu 8 ans de sa vie à la prison civile de Lomé avant de bénéficier d’une grâce présidentielle en 2017. Comment a-t-il survécu dans cette nuit sombre de l’Âme ? Comment voit-il sa nouvelle vie ? Toutes ces réponses et plus encore dans cette interview exclusive.
Bonjour Monsieur ! Vous n’êtes plus à présenter au public togolais. Mais nos lecteurs africains aimeraient bien vous connaitre !
Je suis Eugène Kossi ATIGAN-AMETI à l’état civil et connu par le public sous le nom d’Eugène ATIGAN. Je suis Africain, d’origine Togolaise (PANAFRICANISTE) et je réside au Togo où j’ai toujours vécu.
Je suis gestionnaire de formation et communicateur de profession. Je suis aussi producteur et présentateur d’émission Télé et depuis février 2018, je suis président du Comité International “LE SUPER CABARET“. Je rappelle que je suis aussi défenseur des Droits de l’homme régulièrement enregistré sous le numéro 30 pour le compte de l’année 2018.
Vous êtes un acteur incontournable sur la scène culturelle togolaise. Mais votre vie a basculé le 19 septembre 2009 à cause d’une histoire de trafic de drogue. Coupable ou non coupable ?
Aujourd’hui, c’est une histoire qui est derrière moi. Coupable ou non, j’ai passé 8 bonnes années en prison et ma nouvelle personnalité qui est sous la domination de la foi, ne me permet pas de chercher à me justifier. Tout est grâce et toutes choses concourent à tous ceux qui aiment Dieu, comme l’écrivait Saint Paul aux Romains. Toutefois, mon livre va sortir et les gens pourront faire leurs propres analyses et en tirer des conclusions. Ce qui est important pour moi aujourd’hui, ce n’est pas coupable ou non-coupable; mais quelles leçons cette parenthèse a été pour moi et comment puis-je impacter les gens avec cet état d’esprit positif et optimiste?
Ce qui est constant, c’est ceci. Un samedi 19 septembre 2009 à l’aéroport international de Lomé, après toutes les formalités administratives et sécuritaires, alors que je sortais de la navette au pied de l’avion, j’ai été interpellé par un service qui n’est ni de près ni de loin sujet ou organe, de l’office de répression de la drogue et du blanchiment. Après une longue résistance de la compagnie Air France, ma valise puisque je n’en avais qu’une seule enregistrée, a été sortie de la soute de l’avion.
Jugé et condamné pour trafic de drogue le 12 décembre 2011, la Cour Suprême me déboutera le 15 novembre 2012 et ma peine de 10 années de réclusion criminelle a été maintenue. Mais le 18 septembre 2017, j’ai bénéficié d’une grâce présidentielle. Ce que je peux aussi ajouter ici, c’est que Dieu seul sait le pourquoi et le comment des choses. Aujourd’hui, je suis vivant, alors que d’autres ont quitté définitivement ce monde pendant mes années en prison. Peut-être auraient-ils voulu être en prison comme moi que de finir au cimetière !
Vous avez donc passé près de 8 années de détention avant d’être libéré par une grâce présidentielle en septembre 2017. Quel souvenir avez-vous de cette période pas très rose de votre vie ?
Les premiers instants n’ont pas été faciles et à raison. Après ma condamnation, j’ai fait deux grèves de la faim, la première de 9 jours et la deuxième de 26 jours. Tout le monde peut imaginer l’état d’esprit et l’état d’âme de quelqu’un qui se permet d’infliger cette violence inouïe contre sa propre personne. La nervosité et la confusion étaient les émotions qui me définissaient en cette période.
J’ai mon garçon qui est né en février 2009 et en septembre je me retrouve en prison sans jamais voir ce fruit de ma semence, pour moi c’était la caractéristique de la colère et de la peine qui était en permanence sur moi. Ce garçon est devenu une charge pour sa maman qui vit avec lui à des milliers de kilomètres du Togo loin de la famille, c’était une torture en l’imaginant et en réalisant l’incapable que je suis devenu.
Laisser son enfant à la seule charge de sa mère est irresponsable et je ne me le pardonnais pas et même pas aujourd’hui car, dans ces moments importants de la vie de mon enfant je n’étais pas à ses côtés, je me sentais mal pour cela. Ma peur de devenir comme un hasard dans la vie de mon garçon était très angoissant. C’est douloureux et déchirant de réaliser que son enfant peut appeler n’importe qui Daddy ou Papa. C’est une frustration et une profonde peine qui dépassent le fait même de payer pour le crime le plus odieux. Mais au même moment c’était à lui que je m’accrochais quand la vie semblait m’abandonner car plusieurs fois j’ai failli trépasser.
Quand j’ai fait la rencontre du Saint Esprit, j’ai commencé par faire avec la situation en l’acceptant en amont. J’ai fini par prendre la prison comme mon “chez moi” et je me suis mis au service de mes autres frères détenus. Je me suis mis dans la parole de Dieu et dans les modules de renforcement de capacité en matière des droits et devoirs du détenu, la procédure pénale, et en plus je me suis frauduleusement inscrit au Peace Opération Training Institute (POTI, une université en ligne des Nations Unies). J’ai suivi les cours en ligne et passé 6 examens auxquels j’ai réussi brillamment.
Mon secret finalement pour passer cette période de grâce en prison c’était l’espoir renouvelé que j’avais tous les jours d’étre libéré le lendemain au plus tard.
Comment se passe la vie après la prison ?
Aujourd’hui pour ma réinsertion, je me bats tous les jours pour être utile à ma famille, à ma communauté et surtout à mon pays. J’essaie d’imposer (et j’y arrive heureusement) mon regard plein d’amour et d’espoir et aussi celui d’un homme incontournable pour des avancées en toute matière de la vie de ma communauté. Le regard de jugement ou de condamnation que naturellement certaines personnes continuent de porter sur moi, me donne davantage de motivation pour ne pas baisser les bras.
Je suis conscient que c’est ma réussite, et mon succès qui vont participer à l’harmonisation des regards sur ma personne et catalyser les énergies pour le respect qu’il faut pour mon enfant et pour ma famille car pour moi c’est très important.
Même en prison, vous êtes resté actif en organisant des événements culturels pour les détenus. Comment était-ce possible, puis surtout comment se passe ces événements et à qui revient le mérite de cette idée ?
J’ai vite compris qu’il n’y avait qu’une seule façon de prouver qu’on a de la valeur, de la capacité et des potentialités. Organiser ces événements, c’était justement pour prouver qu’on a de la valeur, des capacités et du potentiel. Alors l’idée du concert de solidarité avec les détenus est née et pilotée par SMPDD (Solidarité Mondiale Pour les Détenus et les Démunis) de KOKO de KOFFI qui est un ex-détenu plein d’énergie.
Selon moi, cet événement a eu le mérite de faire évoluer dans le bon sens l’idée que les uns et les autres se font des détenus. Après 4 éditions, faute de partenaires de taille l’événement est en perte de vitesse et c’est très malheureux.
Je suis de ceux qui pensent que, si la prison n’est pas faite pour détruire voire tuer le prisonnier, après avoir purgé sa peine le prisonnier qui revient dans la société doit être traité avec dignité et humanisme. Et surtout quand on peut comprendre que tous les hommes libres sont des potentiels prisonniers, on doit réfléchir à la vie et aux conditions de détention des prisonniers. Par ailleurs, on doit également réfléchir à comment rendre plus indépendants et plus professionnels les fonctionnaires de la justice dans tous les pays.
J’ai mis en place avec l’aide du CACIT le club sentinelle qui continue de travailler même après ma libération.
Je dirais aussi ceci, que vous vous retrouviez dans un trou ou sur un dépotoir, c’est un devoir pour vous de montrer votre valeur.
Pour la première fois on a présenté un spectacle, chanté et joué un OPÉRA en décembre 2016 à la prison civile de Lomé. J’ai écrit les grands axes du texte, j’ai monté la pièce et assuré la mise en scène. Mais mon plaidoyer dans ce sens c’est de permettre à ces acteurs et tous ceux qui participent à ces activités culturelles de bénéficier des remises de peine comme cela se passe ailleurs. Il n’y a que comme cela que le changement vers les prisons sans violence deviendrait une réalité. Je demande plus de compassion et plus de clémence pour les détenus qui font amende honorable pendant la détention.
« Quelle que soit la durée de la nuit, le jour vient ». Cet adage s’applique tellement dans votre cas quand on sait que quelques mois après votre libération, vous avez repris service en lançant une nouvelle émission « LE SUPER CABARET ». Est-ce un projet que vous avez muri durant le temps passé en prison ?
Tout est grâce, je le dis encore, et il faut toujours être à l’écoute du Saint Esprit. Il y a des situations qui prouvent que tous les jours dans notre vie Dieu est au contrôle.
A ma libération j’ai fait une retraite spirituelle. Il y avait plein d’idées que j’avais en tête mais c’est le Saint Esprit qui a tout ordonné. J’ai été faire mes civilités à mes collègues de la TVT et le lendemain j’ai été appelé pour présenter une émission. La date de cette émission, EPEYEYE 2018 qui fut un direct depuis le Palais des Congrès, tombait sur le 100ème jour de ma libération. J’ai compris que la grâce était en action. Elle m’imposait par où commencer. J’ai compris que pour reprendre, il faut commencer par ce qu’on sait faire le mieux pour enfin découvrir la nouvelle porte que Dieu veut nous ouvrir. Je rends en passant un hommage aux collègues et à la direction de la TVT pour cette marque d’amour et de sympathie à mon endroit.
Par la suite, j’ai voulu faire une émission spéciale à l’occasion de la Saint Valentin mais en écrivant le projet j’ai découvert que ce que j’avais finalement écrit dépassait le cadre de mon idée de base et là le bimestriel LE SUPER CABARET est né.
«LE SUPER CABARET », une émission pas comme les autres ?
En réalité, il s’agit d’une fusion de deux grands courants en matière de télé, c’est à dire le talk-show et la variété. Nous avons déjà enregistré et passé 3 numéros.
Je rappelle que dans la dynamique de l’idée j’ai créé l’association COMITÉ INTERNATIONAL LE SUPER CABARET qui produit l’émission.
L’association cherche toujours des partenaires pour ses activités, car au-delà de l’émission, c’est une association qui se veut œuvrer dans le social, dans l’assistance aux prisonniers, aux malades, aux orphelins et veuves, et elle forme en droits et devoirs humains, à la citoyenneté, à la culture de l’amour agapè et à la paix, etc.
L’émission LE SUPER CABARET a cette particularité de parler d’un thème et de faire passer en live acoustique des artistes de la chanson et tous les acteurs de l’art.
Le deux grands objectifs ont pour but d’amener les spectateurs et téléspectateurs au leadership et au développement personnel par l’impact des thèmes abordés puis de permettre que les artistes soient détectés pour trouver des contrats sur des festivals à travers le monde. Mon constat est justement l’absence des artistes togolais sur les Festivals car rares sont les occasions de les voir faire de prestations Live à la télé.
Du fait de votre expérience, que pouvez-vous dire aux autorités togolaises sur le traitement des détenus dans les prisons du Togo ?
En guise de plaidoyers, je voudrais dire aux autorités combien la vie en prison est difficile. C’est difficile au point qu’on ne peut pas l’expliquer. Il n’y a que quelqu’un qui a fait cette expérience difficile qui peut en parler réellement. Les régisseurs des prisons, les chefs prisons et leurs éléments voire les défenseurs des droits de l’homme ne peuvent que parler de l’impression qu’ils ont de cette situation. Mais, jamais ils ne pourront la traduire comme le ferait un ex détenu.
C’est pourquoi je demande humblement aux autorités judiciaires et pénitentiaires de bien vouloir accorder des mesures de faveur de la loi comme la liberté provisoire aux détenus préventifs et la liberté conditionnelle aux condamnés. Il le faut pour prouver le caractère humain de l’administration des prisons.
Si les gens sont condamnés et sont obligés de purger toute leur peine sans aucune faveur, cela voudrait -t -il dire que la prison est incapable de travailler à la correction de ses pensionnaires ?
QUESTION DU PUBLIC
Alain Kpomegbenou (Togo) : Comment trouvez-vous votre vie actuelle comparée à celle que vous aviez avant septembre 2009 ?
Aujourd’hui je vis dans la crainte de Dieu, et j’y mets toute ma confiance car par la foi et par l’expérience j’ai compris comment Dieu agit en passant par les hommes.
Je n’ai pas changé physiquement mais ma manière de voir les choses, mes pensées et mes attitudes ont changé en bien.
LA LIBERTÉ POUR MOI EST REELLEMENT ET FONDAMENTALEMENT UNE NOUVELLE CHANCE DE VIVRE MIEUX en paraphrasant Albert CAMUS
Je suis né un dimanche et je peux dire que j’étais KOSSI mais aujourd’hui je suis KOSSIYÉYÉ !
Merci d’avoir répondu au question de notre internaute. Quelque part dans le monde, une personne privée de liberté est actuellement en train de vous lire. Quel message avez-vous pour cette personne ?
A toi qui es en train de lire cet entretien depuis ta cellule de prison, je dirai d’abord la prière suivante: QUE DIEU TE DONNE FORCE ET COURAGE.
Ensuite je donne ce conseil : NE LAISSE JAMAIS LA PRISON ENLEVER LA VALEUR HUMAINE QUI EST EN TOI, FAIS TOUJOURS PREUVE D’AMOUR, TRÈS BIENTÔT TU SERAS DEHORS, NE PERDS JAMAIS ESPOIR. LE MONDE A BESOIN DE TOI DEHORS. JE T’AIME.
Votre citation préférée ?
Je voudrais partager cette citation de JOHN MAXWELL tirée de son livre « Du rêve à la réalité », je cite : « Nous avons un grand Dieu qui veut faire des grandes choses et ces grandes choses, il veut les faire par ses enfants que nous sommes ». Et j’ajoute la mienne à moi : « DIEU EST GRAND ET DIEU EST AU CONTRÔLE ALORS PENSE DE GRANDES CHOSES SUR TOI CAR DEMAIN TU SERAS LE RÉSULTAT DE TES PENSÉES D’AUJOURD’HUI».
Un message pour la jeunesse africaine en général ?
La jeunesse Africaine doit se mettre au travail et croire en ses capacités. Notez ceci, si le monde entier croit en vous et vous-même vous ne croyez pas en vous, vous ne connaîtrez jamais le succès. Cependant, si personne ne croit en vous, mais que vous-même vous croyez en vous, alors vous pouvez faire des choses avec de fortes chances d’arriver au succès.
Un dernier mot pour finir cet entretien ?
Je voudrais rendre grâce à Dieu pour cette opportunité et vous remercier pour cet intérêt que votre site porte à ma modeste personne.
Je souhaite aussi que la personne humaine soit au centre des préoccupations et de la politique des gouvernements et de celle de l’opposition, c’est le seul secret pour arriver à la justice sociale pour une paix durable en Afrique.
Merci Eugène ATIGAN
Contact de Eugène ATIGAN
N° de téléphone (WhatsApp) : +22890044207
E-mail: eugene.atigan@gmail.com
Facebook : Eugene Atigan / Eugene atigan officiel
Interview réalisée par Essenam K²