Bâtir une carrière musicale au Cameroun ne va pas forcément de soi quand on a passé toute son enfance sur les bords de Loire, en France, et que jusqu’à ses vingt ans, on n’a connu de l’Afrique que ses footballeurs !
Français tombé amoureux du Cameroun il y a une dizaine d’années, l’artiste Alex du Kamer affirme sa double identité et construit sa crédibilité sur la scène musicale camerounaise – entre méfiance, ahurissement et sympathie du public. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de « Je wanda », extrait de son album Muna Mboa.
De l’école de commerce parisienne aux studios de Douala
Depuis son admission à l’ESSEC en 2003, Alex écrit et compose en amateur dans sa chambre d’étudiant. Mais son premier voyage à Douala, en 2007, sera un véritable choc et en fera l’artiste que l’on connaît aujourd’hui.
« J’ai tout de suite accroché sur le camfranglais [argot local mêlant anglais, français et dialectes, ndlr], c’est un langage imagé, inventif, dynamique… Et puis des choses qui peuvent choquer ou rebuter quand on débarque au Cameroun, ce côté grouillant, moi j’ai trouvé ça plein d’énergie ! ».
Interrogé à longueur d’interviews sur cette première rencontre si déterminante pour la suite, l’artiste se contente d’évoquer « un voyage familial ». Il nous faudra plusieurs bières et un certain acharnement pour apprendre que l’affaire tourne autour d’une Camerounaise rencontrée à Paris !
Lors des séjours suivants, quatre entre 2007 et 2013, celui qui est entre-temps devenu consultant en organisation et management à Paris en profite pour nouer des amitiés et des contacts.
Fin 2013, les bruits du Cameroun, les mots, les ambiances et les souvenirs progressivement accumulés prennent forme, et il écrit « Le pays est sucré », qu’il clippera quelques semaines plus tard dans les rues de Douala. « J’étais un ovni musical. On entendait un Blanc parler le camfranglais. Dans le clip, on me voyait tirer un pousse-pousse au marché, conduire un moto-taxi… ». Les Camerounais sont surpris, charmés, flattés, il n’en faut pas plus pour que la vidéo de « ce son bricolé, qui se voulait surtout fun » atteigne 100 000 vues en quelques heures.
Peu à peu, le public l’adoube en le baptisant « du Kamer » (« du Cameroun ») en référence à Liu du Kamer, un Chinois qui a fait sensation il y a une quinzaine d’années en chantant en langue locale.
Alex adopte alors une double vie : consultant le jour et artiste la nuit, composant depuis Paris d’autres titres, et ne cessant de clamer son amour pour « le pays ».
Début 2017, Alex du Kamer s’installe à Douala pour développer sa carrière artistique, et sort un album intitulé Muna Mboa, qui signifie « l’enfant du pays ». Une filiation affirmée, revendiquée par l’artiste, peut-être en réponse à ceux « qui pensent que je ne suis ici que parce que tout y serait plus facile : les filles, le franc CFA, la notoriété ».
Ses pages sur les réseaux sociaux, pourtant, ne reflètent pas un public particulièrement tendre : pour lui comme pour un autre, les internautes décortiquent le flow, l’écriture, la qualité des collaborations, le look, le niveau de danse… Alors, il continue à travailler.
« Je construis peu à peu mon univers, et je crois, humblement, que j’arrive à écrire des chansons qui ont une personnalité. Est-ce que ça paie ? Pas encore, je ne suis qu’au début. Mais je reçois beaucoup d’encouragements. ». Y compris sur scène ! Quand le public scande ses chansons sur la scène de l’Institut français de Douala ou au Douala Music’Arts Festival, Alex ne boude pas son plaisir, même s’il sait qu’entre apprécier et acheter, le mélomane africain peut mettre beaucoup de temps.
L’artiste s’est aussi fait une place parmi ses confrères locaux. La quasi-totalité de Muna Mboa a été produite par Djess Panebo, beatmaker camerounais éclectique. On y entend aussi Sadrak, membre du groupe mythique Negrissim, dans « La race super-rieurs », qui évoque justement les préjugés raciaux et tribalistes qui empêchent de voir l’autre pour ce qu’il est.
Un album écrit « sur le terrain », et des thèmes 100% africains
Les chansons de Muna Mboa marquent un recours moins systématique à ce camfranglais qui, sortant de la bouche d’Alex, avait enclenché le phénomène médiatique en 2014. « Dire qu’on se sent Camerounais quand on est Blanc, il y a un décalage dont j’ai bénéficié et j’aurais pu rester dans ce registre, mais j’ai choisi de m’installer ici, écrire des chansons qui parlent de la vraie vie… ».
Les chansons parlent par exemple du montant exorbitant de la dot à verser pour épouser une femme, de l’art de la drague, des galères du quotidien ou encore de « l’aventure », joli mot pour désigner une réalité souvent tragique, celle des migrants. La chanson « 2035 » évoque, elle, l’horizon fixé par le Président de la République pour que le Cameroun atteigne l’Émergence.
AFRICAVIVRE
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