Pour le milliardaire nigérian Tony Elumelu, ardent défenseur de l'”africapitalisme”, le secteur privé africain “détient les clés pour débloquer le potentiel” du continent. Voici l’interview qu’il a accordé au journal Le Monde.
Pourquoi avez-vous concentré l’activité de votre fondation sur les entrepreneurs ?
Je rends à l’Afrique ce qu’elle m’a offert. Je suis né en Afrique, j’y ai grandi, j’y ai travaillé et implanté mes sociétés. Autour de moi, je vois toujours beaucoup de gens qui doivent travailler dur chaque jour pour finalement rester pauvres toute leur vie. Je veux contribuer à changer cette situation avec ma fondation, qui financera 10 000 projets de jeunes entrepreneurs africains. Chacun reçoit 10 000 dollars, dont la moitié est versée en capital de départ. On les accompagne, on les forme, on les suit et on s’assure que leurs projets sont économiquement viables. Et ça marche.
Quels secteurs concentrent le plus de projets que vous soutenez ?
On est neutre sur ce sujet. Pour le moment, il s’agit principalement de projets dans les télécommunications et les technologies de l’information, l’agriculture et la mode. La première année, en 2015, nous avons reçu 20 000 dossiers de candidature pour 1 000 retenus. Cette année, nous avons enregistré 45 000 demandes émanant de 45 pays africains.
Nous avons confié à la société de conseil Accenture la réception et l’étude des dossiers de candidature. Puis, notre comité de sélection tranche. Nous avons déjà de très belles histoires d’entrepreneurs: des projets agricoles en Ouganda, une entreprise de télécommunication en Afrique du Sud qui est aujourd’hui estimée à plusieurs millions d’euros. Mais je pense à long terme. Ces jeunes sont plein d’énergie, disciplinés, et je suis convaincu que dans dix ans, ils feront la différence.
Sur les 1 000 premiers projets sélectionnés en 2015 par votre fondation, une centaine seulement provenaient d’Afrique francophone. Pourquoi ?
L’entrepreneuriat n’a rien à voir avec la langue. Et j’en ai marre de cet antagonisme “francophone contre anglophone” en Afrique, car ça me semble artificiel. Peut-être y a-t-il plus de conscience entrepreneuriale et d’accès à l’information en Afrique anglophone. Peut-être. Mais je ne veux pas diviser une Afrique unie. Cette année, on a environ 30 % de projets en plus qui sont portés par des femmes. Il y a aussi davantage d’entrepreneurs originaires d’Afrique francophone et du Maghreb.
Votre fondation travaille-t-elle avec des fonds d’investissement ?
Nous allons commencer très bientôt car nous voulons que ces entrepreneurs puissent se développer pour devenir les Microsoft ou les Apple de demain. Et 10 000 dollars ne suffiront pas. Nos ressources sont limitées : j’ai versé 200 millions de dollars. Pour la deuxième édition, cette année, on va donc créer une pépinière d’investisseurs, ce qui permettra aux entrepreneurs les plus talentueux de lever 200 000 ou 500 000 dollars.
Comment êtes-vous parvenu à devenir l’un des douze milliardaires de Lagos recensés par la revue “Forbes” ?
Tout est parti d’idées. Il faut avoir des idées et identifier des opportunités. C’est pour ça que je soutiens ceux qui rêvent et qui veulent réussir. J’ai commencé comme ça. Je suis rapidement devenu patron de la quatrième plus grande banque du Nigeria, United Bank of Africa (UBA). Puis on a fusionné avec la troisième plus grande banque et, aujourd’hui, on a plus de dix millions de clients à travers l’Afrique. UBA est cotée à New York, Paris et Londres. Ma réussite, je veux la raconter aux gens pour qu’eux-mêmes puissent y croire et transformer l’Afrique du XXIe siècle.
La plupart des milliardaires nigérians ont créé une fondation. Peut-on parler de philanthropie nigériane ?
La vraie richesse, ce n’est pas le compte en banque mais le développement du pays, de la région, du continent pour les prochaines générations. Je crois que les Africains ont une tendance à la générosité et à la solidarité. Chaque fondation œuvre dans des actions bien spécifiques : bourses d’étudiants, aide alimentaire, etc. Comme Mao Zedong, je pense qu’il vaut mieux apprendre à un homme à pêcher que de lui donner des poissons. J’ai la certitude que personne d’autre que les Africains eux-mêmes n’aidera l’Afrique à se développer.
Vous avez déclaré que l’un de vos modèles était Bill Gates. Qui de l’entrepreneur ou du philanthrope vous inspire le plus ?
C’est d’abord le Bill Gates de Microsoft que j’admire. Car il a rappelé au monde entier qu’une simple idée peut changer le monde. Steve Jobs, qui a transformé notre rapport aux technologies et notre façon de travailler, ou Michael Jackson, par la perfection de ses clips, font aussi partie de mes exemples ! J’aime les gens qui travaillent, persévèrent, y croient et changent le monde avec des idées.
Quels sont les principaux obstacles au développement en Afrique, selon vous ?
L’absence d’un environnement favorable aux entrepreneurs et aux investisseurs. L’Afrique souffre encore du manque d’infrastructures, d’accès à l’électricité, de facilités de transport mais aussi d’une bonne gouvernance protégeant les investissements.
Nous avons besoin que les gouvernements prennent conscience qu’ils n’ont plus le choix : il faut créer les conditions propices au développement du secteur privé. Ils ont tout à y gagner et les entrepreneurs vont les aider à atteindre leurs objectifs économiques. Il faut que les dirigeants africains s’affranchissent d’une sorte de blocage mental sur secteur public et secteur privé. Ce n’est pas l’Etat, mais le secteur privé qui va créer des emplois.
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