Au Bénin, les transports en commun (taxis, bus et mini-bus) roulent. Mais ils parlent aussi. Comment ? Par et à travers des inscriptions qu’ils affichent. Ce sont autant de messages à l’adresse du public. Des messages qui méritent d’être décryptés. Des messages qui valent de livrer les intentions qu’ils cachent.
Nous nous sommes posté à un coin de rue. En une demi-heure, la moisson a été plus que bonne. Nous avons réparti la récolte en trois catégories de messages.
1- Des messages pour rendre grâce
Cela souligne la forte religiosité, sinon la spiritualité du Béninois prompt à tout mettre sous le sceau de Dieu. Un moyen de transports en commun, à deux ou à quatre roues, promeut quelqu’un comme propriétaire d’un moyen de production. Une belle acquisition, source de profit. Qui se sent ainsi comblé pense être en devoir de remercier Dieu. D’où une première catégorie de messages. A tenir pour un hommage au Très Haut en témoignage de reconnaissance et de gratitude. Notre petite enquête nous a fourni les trois messages ci-après. L’un en fongbé, “Kpè Mahu ton”, c’est-à-dire, par la grâce de Dieu.
Les deux autres sont en français : “Dieu est bon” d’une part, “Dieu merci” d’autre part. Ce cachet de Dieu qu’appose le Béninois sur tout se fonde sur la croyance selon laquelle la main de Dieu est omniprésente dans tout ce que nous entretenons, dans tout ce qui nous arrive. Cette inclination est lestée d’une certaine pensée magique. Laquelle pourrait encourager une certaine forme d’irresponsabilité. Dès lorsqu’en tout, on se dédouane de tout, rendant Dieu responsable de tout. Une éducation à la responsabilité sera nécessaire pour remettre les choses à l’endroit, pour restituer à l’individu sa liberté et sa responsabilité pleines et entières.
2 – Des messages de défiance
C’est le côté bagarreur du Béninois qui se révèle ici. Soit qu’il estime avoir terrassé ou avoir coiffé sur le poteau un adversaire. Soit qu’il veuille régler des comptes. Une inscription allusive fait le job en signe d’un magistral pied de nez ou d’un solennel bras d’honneur. L’inscription peut également avoir pour fonction d’anticiper les jalousies éventuelles, les hostilités possibles du milieu. Ne dit-on pas que l’attaque est la meilleure défense ? En effet, dans un milieu généralement pauvre, celui qui a acquis un moyen de transport en commun sort du lot, sort la tête de l’eau. Il émerge. Il s’attend à essuyer des critiques. Il sait qu’il ne peut pas ne pas susciter envie et jalousie.
Cette deuxième catégorie de messages participe d’une forme de prévention. C’est un mur de défense contre des critiques éventuelles ou estimées inévitables. Il s’agit donc de prendre les devants, de prendre pied le premier sur le terrain de l’adversaire. Notre enquête nous a fait récolter trois messages, tous en français. Le premier prend la forme d’une attaque directe : “Jaloux, tais-toi !”. Le second emprunte sa forme au petit français de Côte d’Ivoire : “Dis pour toi”. C’est l’équivalent en français de “boucle-la”, “occupe-toi de tes oignons”, “occupe-toi de tes affaires” “mêle-toi de ce qui te regarde”.
3- Le troisième et dernier message s’inspire d’une chanson populaire :”Les jaloux vont maigrir”
Un peu en guise d’avertissement à l’adresse de tous les jaloux : ils prennent le risque de se détruire, de détruire leur santé à force de mal y penser ou de nourrir de vilains sentiments. Personne n’étant expressément nommé, on estime que les destinataires se reconnaîtront eux-mêmes. Des messages qui puisent dans la sagesse des nations. Il y a presque toujours, ici, une intention sous-jacente. “Petit à petit”, emprunte au proverbe “Petit à petit l’oiseau fait son nid”. A savoir qu’à force de patience, de persévérance, on finit par atteindre son objectif. “Qui vivra verra” exprime la conviction que le meilleur est à venir, pourvu que Dieu nous prête vie. “Le sang de Jésus” veut faire partager le précepte biblique selon lequel le sang divin nous lave de tout péché et nous protège contre tout danger.
Ainsi parle et ainsi va la rue. Nos transports en commun distillent des messages de tout ordre. Des messages qui interpellent, qui apostrophent. Des messages qui nous partagent entre louanges, règlements de comptes et paroles de sagesse. Le choix étant large, que chacun se détermine et fasse sa provision. Le salut, a-t-on dit, est individuel.
Jérôme Carlos
La chronique du 15 novembre 2016
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